Original Article
Réflexion sur le recours à la visioconférence pour la
réalisation de l’expertise psychiatrique en France
Benefits and limitations of implementing videoconferencing for forensic
psychiatry assessment in France
Sébastien S. Prat 1,2,
Robert Courtois 3,4
1 McMaster University, Department of Psychiatry and
Behavioural Neurosciences, Hamilton, Canada
2 St. Joseph’s Healthcare Hamilton, Forensic Psychiatry
Program, Hamilton, Canada
3 Université François Rabelais de Tours,
Département de Psychologie, EA 2114 ‘Psychologie des âges de la vie et adaptation’,
Tours, France
4 CHRU de Tours, Clinique Psychiatrique
Universitaire - CRIAVS ‘Centre-Val de Loire’, Tours, France
La télémédecine est une technique qui a fait ses preuves
dans de nombreux domaines. La psychiatrie légale française pourrait s’inspirer
de ce succès afin d’améliorer la pratique de l’expertise psychiatrique. Dans
cet article, nous nous attachons à analyser les bénéfices et les limites de la
visioconférence dans la réalisation des expertises psychiatriques. Cette
technique pourrait permettre de palier certaines des difficultés que rencontre
cette discipline en France.
Telemedicine has
been successfully used for many years in North America for the purpose of
conducting forensic assessments. France, however, has not yet implemented this
potentially useful tool. French forensic psychiatry could get inspired by this
success in order to improve the practice of court ordered psychiatric
assessments. In this article, we address the benefits and limitations of
videoconferencing in the field of forensic psychiatry. Using these new means of
telecommunications could help solve some of the issues encountered in France.
Mots
clés
Psychiatrie
légale, expertise psychiatrique, télémédecine, visioconférence, amélioration
des pratiques
Key words
Forensic
Psychiatry, forensic assessment, telemedicine, video-conferencing, quality
improvement
Introduction
La pratique
de l’expertise psychiatrique en France est sujette à de nombreuses critiques
qui sont régulièrement recensées par les professionnels rayonnant autour de
cette discipline (professionnels de la santé et du droit) et les médias [1,2].
Parmi ces critiques, le manque d’expert, et de fait la difficulté à faire appel
dans un délai raisonnable à un praticien compétent dans ce domaine, sont mis en
avant notamment par les magistrats. Différentes solutions semblent être
recherchées ci-et-là afin de remédier à ce problème. Pour augmenter le nombre
d’experts, plusieurs solutions pourraient être envisagées, telles que 1/ créer
des vocations, 2/ renforcer la formation à l’expertise psychiatrique, 3/ avoir
recours à des psychiatres non-experts pratiquant l’expertise, 4/ avoir des
psychiatres dont au moins une partie de leur activité serait spécifiquement
dédiée à l’expertise, 5/ créer des unités d’expertise psychiatrique pour
obtenir un regard pluriel sur le dossier...
Il est
difficile de savoir si de tels changements pourraient induire un réel
accroissement du nombre de praticiens dans ce domaine et répondre ainsi dans
les délais impartis aux besoins de la Justice qui sont croissants. Il est
indéniable que l’expertise psychiatrique apporte des informations techniques
permettant d’orienter les magistrats dans leurs décisions. Ces derniers
peuvent, de leur propre chef, décider de la réalisation d’une expertise lorsque
certains éléments du dossier les y incitent. Cependant ils sont parfois
mains liées, puisque le Code de Procédure Pénale impose la réalisation d’une
expertise psychiatrique dans un certain nombre de situation, et notamment lors
de faits de nature sexuelle ou lors de l’évaluation du risque de
dangerosité (par exemple article 706-47-1 du Code de Procédure Pénale) [3]. Ce
n’est donc pas du côté de la Justice que l’on peut trouver une solution quant à
la charge de travail donnée aux experts psychiatres, et c’est bien à la
psychiatrie légale de proposer des modifications.
Trouver des
solutions n’est pas chose aisée, puisque cela requiert des modifications
substantielles, dont les décisions parfois tardent à être prises, comme par
exemple la mise en place d’un Diplôme d’Etude Spécialisé Complémentaire de
psychiatrie légale [4] ; pourtant les difficultés sont actuelles et il
devient impératif d’y remédier. Il y a plusieurs années, un projet de loi avait
émis l’idée que les internes en psychiatrie pourraient réaliser certains types
d’expertise psychiatrique [5]; l’idée principale était que ces médecins en formation
permettraient de couvrir le manque d’expert et de participer d’une certaine
manière à la création de vocation. Notre opinion, partagée par d’autres, est
que cette « solution de fortune » dévalorisait la pratique de
l’expertise psychiatrique, méconnaissait les risques médico-légaux associés à
la pratique de l’expertise et ne s’attachait pas à régler les problèmes de
fond. Ce projet avait la volonté de tenter de trouver une solution pour
remédier au moins partiellement au problème.
Répondre à
la demande de la Justice de façon appropriée est une problématique
multifactorielle. Des solutions doivent donc être proposées pour tenter de
régler chacune des difficultés évoquées (qualité de l’analyse médico-légale,
réponse des missions dans le temps imparti, revalorisation de la discipline
...). Cet article n’a pas pour objectif de prendre en considération tous les
problèmes liés à la pratique de l’expertise psychiatre, mais de s’attacher à un
problème en particulier qui est de répondre aux demandes des magistrats dans un
délai raisonnable. Il nous semble qu’une des solutions pour permettre
l’accroissement du nombre d’expertises réalisées pourrait être l’utilisation de
la visioconférence.
Le recours à la visioconférence
pour la réalisation de l’expertise psychiatrique
La
réflexion liée à l’usage de la visioconférence est née de l’observation de
cette pratique au Canada. L’étendue du territoire canadien a, de fait, obligé
les promoteurs de la santé à innover en termes d’accès aux soins. La pratique
de la psychiatrie légale par visioconférence au Canada est courante et
l’expertise psychiatrique y a également trouvé sa place. Il ne s’agit pas d’une
pratique qui s’est substituée à l’expertise en face à face, mais plutôt d’une
méthode qui est venue compléter la pratique courante afin de faciliter les
procédures judiciaires. De nombreuses études nord-américaines ont démontré
l’impact positif d’une telle technique sur la relation de soin, qu’il s’agisse
de la psychiatrie générale, pénitentiaire ou expertale [6-10]. Ces études
insistent particulièrement sur la fiabilité des données recueillies, la
satisfaction des cliniciens et des patients, ainsi que sur la réduction du coût
financier.
Les
méthodes sécurisées de communication à distance se sont démultipliées et
généralisées, et la France en bénéficie. Désormais, les structures judiciaires,
policières, pénitentiaires et sanitaires françaises disposent de telles
méthodes ; de plus leur accessibilité est possible dans le domaine privé.
Notre réflexion n’a pas pour but de comparer les pratiques canadienne et
française en matière de visioconférence en expertise psychiatrique, puisque la
France n’a pas généralisé cette méthode. La suite de ce propos va, par contre,
s’attacher à comprendre d’un point de vue théorique, quels sont les bénéfices
et les limites de l’utilisation d’un système de visioconférence lors de la
réalisation d’une expertise psychiatrique. Les bénéfices de l’utilisation de la
visioconférence semblent être d’ordre technique, alors que les limites à son
utilisation semblent plus être de l’ordre du registre inter-individuel. Nous
verrons également en quoi la France pourrait bénéficier du recours à un tel
système.
Les bénéfices du recours à la visioconférence
Les
bénéfices liés à l’utilisation de la visioconférence sont essentiellement liés
à l’optimisation du temps passé, au cadre dans lequel la mission est réalisée
et à la minimisation des risques pour l’ensemble des professionnels
intervenants au cours d’une mission.
Il est
indéniable que l’utilisation de la visioconférence permet de sauver un temps
précieux, notamment lorsque les ressources humaines sont limitées, comme le
précisent certains articles [11,12]. Certes un certain nombre d’expertise peut
être réalisé en consultation à l’hôpital ou en cabinet, mais lorsqu’il s’agit
d’une personne détenue, le temps de trajet, le temps passé au portail de
sécurité, le temps de trouver un local adapté ... sont autant de facteurs
limitant leur réalisation. Choisir la visioconférence permet à l’expert de ne plus
se déplacer et de planifier son expertise comme toute autre consultation au
cabinet. Quant aux magistrats, ils peuvent alors choisir de nommer l’expert de
leur choix sans avoir à se poser la question de la faisabilité due à la
distance. L’expertise par visioconférence peut être alors programmée de façon
plus rapide, puisque l’on soustrait le temps passé au déplacement, ce qui
permet une plus grande latitude d’action pour l’expert.
De même les
expertises réalisées en détention ont souvent lieu dans des locaux exigus et
sans esthétisme. Les locaux mis à disposition pour la visioconférence en
détention ou au tribunal sont généralement de meilleure qualité et diminue
cette « chape de plomb » imposée par les quatre murs de la salle
exiguë de détention. Un entretien psychiatrique doit pouvoir être réalisé en
toute circonstance, mais il est favorable de pouvoir proposer une atmosphère
neutre et détendue afin de limiter, autant que possible, les résistances du mis
en examen, détenu ou non.
Dans
certaines situations, notamment en cas de personnes présentant un comportement
violent ou inapproprié, l’usage de la visioconférence permet de minimiser le
risque pour l’expert, pour les officiers chargés de veiller au bon déroulement
de l’entretien ou au transport du détenu. De plus, cela limite la
stigmatisation du détenu qui n’a pas à être transporté dans les lieux publics,
escorté et menotté ; quant à l’expert, il n’a pas à craindre l’impact
d’une telle escorte sur sa patientèle. L’autre point que l’on pourrait citer
même si impactant indirectement l’expert (puisque ce dernier généralement se
déplace en détention) concerne la réforme des extractions des centres de
détention qui est désormais à la charge de l’administration pénitentiaire, qui
n’a malheureusement pas toujours les moyens matériels pour les exécuter [13].
L’impact
financier de la mise en place du système de visioconférence en expertise est
favorable et non négligeable, et se place tant du côté de l’expert que de la Justice.
Il permet à l’expert de réaliser plus d’expertises et de limiter le temps passé
à certaines formalités qui sont imputées de son temps clinique. Cela permet
également à la Justice d’économiser ses ressources, comme de monopoliser des
escortes pendant plusieurs heures, ou bien de disposer de ces ressources de
façon plus optimale.
Les limites du recours à la visioconférence
L’entretien
en psychiatrie est un art qu’il faut savoir maîtriser ; recueillir les
informations adéquates ne s’apparente pas à faire passer un questionnaire de
réponses « fermées ». Savoir contourner les mécanismes de défense
intrapsychiques du sujet est primordial ; c’est en cela que certains
pourraient voir des limites à la réalisation des missions par visioconférence.
L’écran qui sépare les individus en visioconférence pourrait donc impacter la
qualité de l’entretien. Il est évident que le face à face permet de communiquer
un certain nombre d’éléments cliniques non verbaux, qui font partie de la
séméiologie. Cette problématique liée à la distance « physique et psychique »
créée par l’écran ne semble pas être insurmontable et dépend de l’installation
du système de communication. Plusieurs études ont démontré que la qualité de
l’échange relationnel n’était pas impactée par la visioconférence [9-11].
L’installation
du système, permettant à la caméra de viser le regard et le visage de
l’interlocuteur, est primordiale pour pouvoir apprécier ces éléments non
verbaux. De même, le fait que la caméra ne soit pas simplement ciblée sur le
visage, mais puisse prendre en considération le buste et d’une façon générale
tout élément visible au-dessus du niveau de la table (une table ou bureau
séparant généralement expert et expertisé en face à face) permet d’apprécier
l’ensemble du discours corporel, autorisant alors l’obtention des informations
relatives à une attitude défensive ou à une agitation psychomotrice entre
autres. L’expert a donc visuellement accès à tous les éléments dont il aurait
accès en face à face.
De même la
qualité auditive du système entre en compte. Le climat de confiance mis en
place au cours des opérations d’expertise joue un rôle dans la qualité des
données recueillies. Une difficulté d’écoute induit un climat de tension qui
peut être préjudiciable dans un tel contexte. De plus, le fait qu’expert et mis
en examen ne partagent pas la même langue natale, induisant la présence d’un
accent ou de fautes dans la structure grammaticale (ce qui est chose courante
au Canada étant donné l’importance de la population immigrante) peut avoir un
impact sur la compréhension particulièrement lorsque le système audio n’est pas
de bonne qualité.
Les
éléments cités ci-dessus n’ont pas seulement un rôle dans la qualité des
informations cliniques relevées, mais également dans la connexion émotionnelle
que deux individus peuvent avoir lorsqu’ils communiquent. Comme nous l’avons
brièvement cité, la mise en confiance diminuant les résistances du sujet à
répondre aux questions posées dans un cadre judiciaire est favorisée par la
mise en place d’un climat de confiance ; cette confiance permet donc un
échange d’émotions réciproques. Le respect et l’absence de jugement au cours de
l’expertise sont donc nécessaires. Cependant, la relation virtuelle a parfois
tendance à produire un sentiment de liberté qui peut amener à prêter moins
attention à ses propres comportements ; il est donc nécessaire de
maintenir le même degré d’attention sur sa propre attitude, comme cela est le
cas en face à face. De même l’utilisation de la visioconférence ne doit pas
être ressentie par le mis en examen comme un manque de considération du fait de
ne pas prendre le temps du déplacement ; expliquer les raisons qui ont
poussé à utiliser la visioconférence, plutôt que le face-à-face, est important.
Ainsi, bien
que des critiques puissent être formulées, il nous semble que les limites
exposées peuvent être résolues. Les études sur le sujet insistent
notamment sur la satisfaction des participants et la fiabilité du recueil des
données, la confidentialité des échanges, ainsi que le gain en termes de coût
[10,14-16]. Il s’agit à l’expert de prendre le temps avec le sujet et de
faire cet effort d’instaurer ce climat de confiance même à distance. Les
limites relatées existent déjà parfois, même lors d’entretiens en
face-à-face ; ainsi, même si la visioconférence peut facilement répondre à
ces limites, elle n’est certainement pas à leur origine. Par contre, il est
légitime de penser que les cliniciens qui n’instaurent pas de climat de
confiance en face à face, ne l’instaureront pas en communiquant via une caméra.
Applicabilité de la visioconférence dans
l’expertise psychiatrique française
A partir de
la réflexion menée précédemment, nous avons mis en évidence les conséquences
potentielles de la visioconférence dans ses aspects techniques et
organisationnels. Nous nous sommes également interrogés au sujet de l’impact
relationnel que cette méthode pourrait engendrer. Comme nous l’avons exprimé
plus haut, la visioconférence est d’ores et déjà utilisée, avec succès, dans
certains pays. Notre opinion est qu’une telle technique ne peut être préjudiciable
à la pratique de l’expertise psychiatrique en France. Comparativement aux pays
qui utilisent la visioconférence, la France ne possède pas de dispositif
procédural particulièrement différent, qui ferait d’elle une entité à part
entière où la réflexion sur l’utilisation d’une telle méthode devrait être
menée différemment. Il nous semble au contraire qu’il s’agirait d’un atout
majeur permettant de palier certaines des difficultés actuelles rencontrées
dans l’interface entre la Psychiatrie et la Justice.
Conclusion
L’utilisation
de la visioconférence en expertise psychiatrique semble être une solution
intéressante, pour palier, au moins en partie, les difficultés rencontrées par
experts et magistrats dans cette discipline. Décider de recourir à la visioconférence
peut avoir un impact non négligeable sur le délai de la procédure judiciaire.
Il faut cependant que chacune des personnes intervenant dans la mission
(expert, magistrat, mis en examen/détenu, avocat) soit à l’aise avec une telle
procédure, afin de ne pas induire des difficultés de forme et de fond. Il nous
semble qu’avoir recours à une telle technique ne doit pas être imposée, mais
qu’elle doit être laissée au libre choix des parties lorsque cela s’avère
pertinent. De même la décision d’interrompre une expertise par visioconférence
doit être laissée au mis en examen, sans être considérée comme un refus de
participer à la mission.
La
psychiatrie légale française doit être en mesure de trouver sa place au sein de
ces nouvelles technologies. Néanmoins, nous partageons l’opinion que
l’entretien face-à-face doit être considéré comme la méthode à utiliser de
principe. La visioconférence est une solution annexe qui doit être envisagée au
cas par cas et demeurer une décision commune. Il est sans doute probable que
l’évolution technologique permette d’améliorer encore la qualité de la
visioconférence dans le futur. L’utilisation de la 3D et de la réalité
virtuelle pourrait y jouer un rôle pertinent.
Conflit d’intérêt:
aucun
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