Letter to the Editor

La HARM et l’AIS comme échelles standardisées du risque en psychiatrie légale : intérêts et limites à leur application en France

HARM and AIS as risk assessment tools in forensic psychiatry: benefits and limitations of their use in France

Noëmie Praud 1,2, Sébastien S Prat 1,2


 


1 McMaster University, Department of Psychiatry and Behavioural Neurosciences, Hamilton Canada

2 St. Joseph’s Healthcare Hamilton, Forensic Psychiatry Program, Hamilton, Canada

Cher Editeur,

L’évaluation du risque en psychiatrie légale a subi des modifications majeures au cours des trente dernières années. Les pratiques ont évolué dans le temps, suivant les avancés de la recherche dans ce domaine. On rapporte trois générations d’évaluation du risque. La première génération est le jugement clinique non structuré. Il a été démontré que cette méthode n’était pas plus fiable que le hasard et par conséquent ne doit plus être utilisée [1]. La seconde génération a consisté dans le développement des méthodes actuarielles, ou autrement dit statistiques. Ces méthodes consistent à prendre en considération les facteurs historiques, c’est à dire statiques, afin d’évaluer un risque de récidive. Les échelles actuarielles permettent de comparer le profil d’un individu donné à un groupe d’individus présentant les mêmes caractéristiques sociodémographiques et cliniques, et dont le taux de récidive est connu [1,2]. La troisième génération d’évaluation du risque a consisté en l’apparition d’échelles de jugement clinique structuré, qui prennent en considération les facteurs dynamiques, en sus des facteurs statiques. Il s’agit alors de prendre en compte tout élément clinique pertinent susceptible de changement au cours du temps, et ainsi avoir une gestion active du risque [1,2]. Une dichotomie a même été établie entre facteurs dynamiques stables (qui peuvent se modifier mais de façon lente) et facteurs dynamiques aigus (qui peuvent se modifier de façon rapide) [3].

L’échelle Hamilton Anatomy of Risk Management (HARM) a été créée dans la lignée des échelles de troisième génération pour favoriser une évaluation rapide et pratique du risque. Il s’agit d’un outil créé pour une évaluation en équipe, permettant ainsi une discussion plurielle autour du risque posé par le patient. L’échelle Aggressive Incidents Scale (AIS) est complémentaire de la HARM dans le sens où elle identifie les comportements déviants et guide le clinicien dans l’évaluation du risque (www.ais-harm.com) [4].

Les échelles HARM et AIS

La HARM a été développée afin de réunir les deux problématiques principales dans la prise en charge des patients en psychiatrie légale que sont l’évaluation et la prise en charge du risque.Cette échelle présente de multiples avantages. Il s’agit d’un outil standardisé, basé sur les données de la littérature scientifique; qualitatif, aucun score numérique n’est calculé, mais le résultat donne une appréciation de l’évolution dans le temps des facteurs de risque; pluridisciplinaire, chaque membre de l’équipe a l’opportunité d’exprimer son opinion; efficient, quelques minutes suffisent pour compléter l’échelle (voire plus dépendamment de la discussion suscitée par la situation clinique).Du fait de sa facilité d’utilisation, cette échelle peut être utilisée de façon quotidienne, hebdomadaire, mensuelle, ou lorsqu’un incident particulier survient.

La AIS a été développée afin de répertorier les comportements déviants des patients, en prenant en considération deux aspects : la gravité du comportement, scorée sur une échelle de 0 à 9; et l’intervention nécessaire apportée par le soignant afin de faire cesser le comportement inapproprié (intervention verbale, physique…).

Il est ainsi possible de visualiser l’impact immédiat de la prise en charge de certains facteurs de risque. Par exemple, l’augmentation du traitement neuroleptique amenant une diminution des symptômes psychotiques et de l’irritabilité associée peut conduire à une diminution du nombre d’incidents côtés par l’AIS. Ces outils incitent également à s’intéresser à chaque facteur de risque comme valeur indépendante dans la prise en charge, même si une même intervention thérapeutique peut avoir, au final, un impact sur plusieurs facteurs de risque.

De plus la HARM a subi plusieurs développements récents. Les facteurs de risque et le visuel de l’échelle ont été adaptés pour une utilisation en psychiatrie générale, pédopsychiatrie et psychiatrie correctionnelle. Une autre transformation, majeure, l’a fait basculer d’une version papier à une version électronique : la e-HARM permet désormais un enregistrement instantané des données. Elle permet la création de graphiques qui donnent une image de l’évolution des facteurs de risques et des incidents dans le temps. Grace à cette avancée technologique, l’ensemble des données d’un même patient peut être agrégé afin de procéder à des tableaux de corrélations et ainsi avoir une analyse plus fine de la prise en charge du patient. L’ensemble des données d’un même service, regroupant l’ensemble des patients, peuvent également être agrégés pour permettre une analyse des pratiques au sein du service et améliorer la prise en charge de façon globale.

Intérêts et limites de l’utilisation de ces échelles en France  

L’utilisation d’échelles d’évaluation du risque en psychiatrie légale, en France, est une évolution récente, mais non systématique. Comme le soulignent Vanderstukken & Lacambre, ces outils sont «souvent décriés comme étant limitatifs et stigmatisant» [5]. Néanmoins l’absence d’utilisation d’échelles standardisées induit un pourcentage d’erreur non négligeable, notamment du fait de la surestimation du risque [1,5]. Il est fort à penser que l’évolution récente des pratiques et l’influence de la recherche scientifique dans ce domaine va conduire à la généralisation de l’utilisation de ces échelles dans la pratique.

Il faut également ajouter que l’utilisation d’échelles standardisées ne doit pas se limiter à la psychiatrie légale. La pratique de la psychiatrie générale, lorsqu’il existe un risque de passage à l’acte hétéro ou auto-agressif, voire une problématique médico-légale plus large, doit prendre en considération un outil de référence. L’utilisation des échelles HARM et AIS pourraient répondre à ce besoin en pratique clinique, tout en prenant en considération les limites et intérêts d’un tel outil en France.

Les limites à leur utilisation

La problématique posée par l’utilisation de telles échelles en France est multiple. Comme nous l’avons exposé, la culture de la psychiatrie française n’implique pas l’utilisation courante d’échelles d’évaluation du risque. Leur utilisation dans des domaines particuliers comme la psychiatrie légale ne s’est pas encore généralisée. Aussi il est probable qu’une utilisation systématique dans une pratique plus généraliste prenne encore plus de temps. Ensuite, les échelles sont développées par des professionnels possédant une expertise particulière. Il est donc souvent considéré que seuls ces mêmes praticiens sont en mesure – et ont l’utilité – de manier de tels outils. De plus ces échelles sont généralement développées dans des unités dédiées à la prise en chargede patients à problématique médico-légale, permettant une application uniforme pour chaque patient du service. Les unités d’hospitalisation mixte en France, en raison de la pluralité des diagnostics et des modes d’hospitalisation (libre ou sous contrainte), imposeraient de faire un choix dans l’utilisation ou non des échelles pour un patient donné. Il est entendu que bien que la notion de dangerosité et son évaluation sont rencontrées par tout clinicien, celles-ci ne s’appliquent pas à chaque patient. Structurer la pratique de l’évaluation standardisée est une nécessité pour permettre une utilisation optimale de l’outil. Il semble ainsi qu’un changement de mœurs est nécessaire, l’approche de la dangerosité en psychiatrie doit progressivement évoluer vers des méthodes d’évaluation qui ont prouvé leur validité.

Les intérêts à leur utilisation

Les échelles HARM et AIS permettent une évaluation clinique objective du risque et de son évolution dans le temps. Elles permettent également une évaluation rapide qui s’intègre dans la discussion clinique, sans nécessiter une analyse séparée potentiellement chronophage. L’existence d’un arbre décisionnel guidant l’utilisation ou non de l’échelle, permet de discriminer les patients présentant une dangerosité (actuelle ou historique) ou non et ainsi permet d’orienter l’utilisation de ces outils pour les patients nécessitant une évaluation standardisée du risque. L’adaptation des facteurs de risques de la HARM en fonction du contexte de prise en charge (général, médico-légal, patient mineur, suivi ambulatoire) permet une utilisation adéquate de l’outil pour le clinicien. De plus, même si ces échelles ont été développées dans un contexte de passage à l’acte à l’égard d’autrui, les facteurs de risques sont transposables aux comportements auto-agressifs et peuvent donc guider la prise en charge des patients présentant des conduites suicidaires. Enfin, la documentation issue de l’évaluation standardisée peut prendre valeur légale, puisqu’elle reflète une opinion objective et pluridisciplinaire. Ainsi cette documentation peut supporter les certificats établis au cours des hospitalisations sous contraintes et de fait soutenir la décision de prolongation ou de levée de la contrainte. L’évaluation répétée du risque grâce aux échelles standardisés permet également une visualisation graphique de l’évolution des facteurs de risques et des comportements inappropriés, ce qui peut s’avérer être une aide dans la compréhension dynamique de l’évolution clinique, notamment pour les non-cliniciens.

Conclusion

Il nous semble que les intérêts liés à l’utilisation d’outils d’évaluation standardisée en France, tels que la HARM et l’AIS, sont majeurs. Les limites exposées ci-dessus ne semblent pas être un frein prééminent à l’instauration d’une telle pratique. Il est évident qu’il existe un réel intérêt à leur intégration dans les pratiques courantes au sein de structures telles que les UHSA, les SMPR et les UMD, puisque par essence une problématique médico-légale et/ou de violence existe. Les services de psychiatrie de secteur, à vocation plus généraliste, possèdent les mêmes problématiques médico-légales de façon récurrente ; l’utilisation des échelles HARM et AIS peuvent donc être un atout supplémentaire dans la prise en charge de certains patients désignés.

Ces deux échelles ont évolué au fil du temps afin de répondre de façon plus adéquate à la demande des cliniciens et aux exigences de la Société (gestion du risque et réhabilitation thérapeutique). La HARM pourrait d’ailleurs être considérée comme la 4e génération d’évaluation du risque, en raison de son caractère pluridisciplinaire. La e-HARM quant à elle serait une échelle de 5e génération, une évaluation dite analytique.

Conflit d’interêt: aucun

 

 

 

 

 

 

 

 


Références


1.     Monahan J, Skeem JL. The evolution of violence risk assessment. CNS Spectrums 2014;19(5): 419-24

2.     Voyer M, Senon JL. Présentation comparative des outils d’évaluation du risque de violence. Inf Psychiatr 2012;88(6):445-53

3.     Hanson RK, Harris AJR. Where should we intervene? Dynamic predictors of sexual offense recidivism. Crim Justice Behav2000;27(1):6-35

4.     Cook AN, Moulden HM, Mamak M, Lalani S, Messina K, Chaimowitz G. Validating the Hamilton Anatomy of Risk Management–Forensic Version and the Aggressive Incidents Scale. Assessment 2016 in press

5.     Vanderstukken O, Lacambre M. Dangerosité, prédictivité et échelles actuarielles : confusion ou détournement ? Inf Psychiatr 2011;87(7): 549-5

 

 

 


 

Auteur correspondant


Sébastien Prat, Forensic Psychiatry Program, St. Joseph’s Healthcare Hamilton, Hamilton ON L9C 0E3, Canada  – email: prats@mcmaster.ca